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Mercure de France, 2017

Alma Brami, Qui ne dit mot consent

Un long huit-clos dans une maison isolée en rase campagne où vit au jour le jour un couple formé par Emilie et Gary ...


Emilie et Bernard ( Gary pour les intimes ) vivent à la campagne avec leur deux enfants. Pour quitter la ville au préalable, Bernard a trouvé un prétexte dans la qualité de la vie, en son désir d'épanouissement et d'air pur. Quant à Emilie, elle a suivi docilement son époux, abandonnant ainsi derrière elle parents et amis. Du coup, tout au long du roman, on a affaire à un long huit-clos dans une maison isolée en rase campagne où vit au jour le jour un couple formé par Emilie et Gary.


Pour le confort de sa femme, Bernard a eu une idée brillante, celle de recruter par petite annonce une compagne pour Emilie. Depuis, les " amies " se succèdent auprès d'Emilie comme dans le lit du couple, telle Sabine qu'ils sont allés chercher à la gare le 2 juin. Puis il y a Elsa, Odile, Aurélie … qui n'ont guère d'identité romanesque et s'avèrent interchangeables.


Je suis précisément captivé par l'entrée en scène de ces anti-héros dans la vie de ce couple. Leur mode d'apparition relaté par Emilie, la narratrice de ce roman, s'avère original et forme un atout clé de l'intrigue. Toutefois, Bernard finit par tous les renvoyer tant il s'en lasse : tout passe, tout casse, tout lasse … Et alors Bernard trouve finalement refuge dans les bras de sa femme, Emilie … Du coup, cela peut paraître cocasse au lecteur. Mais tout compte fait, c'est la réaction d'Emilie qui prend le dessus dans le cours de la narration et on se rend compte de sa souffrance et de son désarroi … Cette protagoniste a l'impression d'avoir perdu sa dignité. Pourquoi ? Parce que " qui ne dit mot consent ".


Tout au long de ce " roman de gare ", la langue d'Alma Brami est caractérisée par un problème de ponctuation : il y a trop de virgules, donc trop de phrases complexes; il y a aussi trop de points d'interrogation, en tout cas dans les quarante premières pages : c'est donner l'impression de poser une problématique alors qu'il y en a pour ainsi dire aucune, si ce n'est celle d'un couple qui se sent seul … et alors le seul ressort de l'intrigue réside dans cette idée de recruter une compagne pour Emilie puis de la remplacer. Par ailleurs, en terme de forme, j'estime que cette auteur aura beaucoup trop utilisé l'écriture italique. Mais malgré ces quelques médiocres faits de langue, ce roman aura été un bon passe-temps.


En définitive, je pense qu'Alma Brami a voulu nous raconter une histoire ordinaire d'un couple dans une maison isolée en rase campagne. En fait le huis-clos a pris un tour peu ordinaire avec l'idée de Gary de recruter par annonce une compagne pour son épouse. Et puis il y a eu un turn-over, avec d'autres recrues … C'est-ce qui m'a fait aimer cette histoire, ce roman, malgré un style de roman de gare et des faits de langue médiocres.

Albin Michel, 2017

Jean-Michel Guenassia, De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles

En fait, ce roman est d'abord l'histoire de son narrateur, Paul, suivant un point de vue interne.


Avocat pendant six ans, Jean-Michel Guenassia vit de sa plume en écrivant des scénarios pour la télévision. Il publie un roman policier en 1986, Pour cent millions chez Liana Lévi ( Prix Michel-Lebrun ) puis fait jouer quelques pièces de théâtre. Son éditeur Albin Michel présente cependant Le Club des incorrigibles optimistes publié en 2009 comme le premier roman d'un inconnu de 59 ans; l'ouvrage obtient toutefois le " Prix Goncourt des lycéens " en novembre. Ayant fait l'objet d'un dépôt légal en août 2017, De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles est son cinquième roman paru aux éditions Albin Michel.

En fait, ce roman est d'abord l'histoire de son narrateur, Paul, suivant un point de vue interne. " Je suis Paul, avec mes bosses et mes creux, j'ai dix-sept ans et des poussières et pas de surnom, j'ai horreur de ça. J'ai deux mères et je ne laisserai personne dire que c'est un bonheur ou une félicité ", puis-je lire au début de l'ouvrage. Et au fil de la lecture, je comprends pourquoi il dit cela de ses parents féminins : il aime les filles, ce qui rebute sa mère Léna, homosexuelle militante, qui vit depuis douze ans avec sa compagne Stella.

Or justement, je suis intéressé par les amitiés de Paul, ce narrateur et personnage principal du roman. Amitié masculine avec Alex, qui lui propose même une relation homosexuelle. Amitié féminine avec Hilda, " son premier chagrin d'amour " puis-je lire page 69 après cette caractérisation de la protagoniste : " Elle s'est avancée, j'ai fermé les yeux, elle sentait la vanille, elle a déposé un baiser sur ma bouche. " Outre l'amour, Paul est un fin gourmet et ce lycéen " change de McDo systématiquement " : " j'y vais trois fois par jour , les bons jours quatre, jamais deux fois de suite dans le même, croyez-moi, ce n'est pas de la maniaquerie, par contre j'ai des habitudes … "

Et puis retour aux filles, page 117 : " Au cours de cette mémorable soirée, j'ai croisé un nombre incroyable de femmes, qui m'ont regardé attentivement, considéré, soupesé, souri ( … ) Caroline s'est approchée, m'a souri, elle a mis ses bras autour de mon cou, et nous sommes partis dans un slow langoureux, tournant lentement, collées l'une à l'autre au milieu de cent couples qui se déhanchaient, pivotaient ou restaient immobiles. Elle m'a embrassé. " Puis plus tard, Paul de se demander : " A quoi tient la vie ? " Réponse : " A peu de chose, finalement. A la présence d'esprit de Caroline. Du coup, c'est peut-être cela, " De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles " …

Tout compte fait, ce roman à l'eau de rose est une très belle découverte. J'ai eu tout au long de ma lecture l'impression de suivre la vie de Paul, qu'il voulait simple mais qui ne l'est pas. En somme, Paul m'a raconté sa vie avec tendresse et humour mais justement, si la langue est plutôt littéraire, il convient d'admettre qu'il y a beaucoup de clichés et un humour maladroit, notamment dans la manière de ce narrateur, donc de l'auteur, de traiter du thème de l'homosexualité qui s'avère décidément incontournable dans De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles.

Ce cinquième roman de Jean-Michel Guenasia aux éditions Albin Michel demeure avant tout dans la mémoire du lecteur comme un roman à l'eau de rose. J'ai vraiment eu tout au long de ma lecture l'impression de vivre les confidences de ce personnage narrateur, Paul, qui m'a raconté sa vie. Peut-être s'agissait-il vraiment de l'ambition de l'auteur : faire partager au lecteur la vie d'un personnage conçu à son image. En tout cas le roman n'est pas ennuyeux.

Gallimard, 2017

Vincent Delecroix, Ascension

Le narrateur, Chaïm Rosenzweig, est un écrivain sans grand succès " choisi " par la NASA pour faire partie de l'équipage d'une navette spatiale.

A l'origine, Ascension est un roman de science-fiction de Christie Golden s'inscrivant dans l'univers étendu de Star Wars : c'est le huitième roman de la série Le Destin des Jedi qui fait suite aux événements se déroulant dans la série L'Héritage de la Force. Le roman de Christie Golden est paru aux U.S.A le 9 août 2011; le dépôt légal d'Ascension par Vincent Delecroix a eu lieu tout récemment en juillet 2017. Le narrateur, Chaïm Rosenzweig, est un écrivain sans grand succès " choisi " par la NASA pour faire partie de l'équipage d'une navette spatiale.

Rien que le titre, Ascension, est déjà une incitation à l'intertextualité dans le domaine de la Science-fiction et c'est vrai que dès le début du roman le narrateur estime que " le commandant Harold Pointdexter était par imitation le commandant qu'il nous fallait pour cette mission. Surtout, vu son aptitude au mimétisme tant moral que physionomique, on pouvait se réjouir ( avais-je dit à Sergei ) qu'il eût préféré L'Etoffe des héros à L'Empire contre-attaque : nous n'avions évidemment aucune envie d'être commandés par Dark Vador ".

Par ailleurs, contrairement à ce que veut faire croire aux lecteurs le résumé publié par certains sites littéraires, le narrateur d'Ascension, Chaïm Rosenzweig, n'a pas été choisi par la NASA : " Mettons un terme au délire, parce que j'ai d'autres choses à raconter : il n'a jamais été question, en réalité, d'un choix. Le responsable, c'est le hasard d'un tirage au sort. " ( page 37 ). Le narrateur en question vit une longue et langoureuse période d'entraînement : il s'entraîne avec le reste de l'équipage dans une ambiance délirante. Décidément, ce roman traîne en longueur, en tout cas dans sa première partie. En effet, dès le début, dès la page 21, ce narrateur évoque six mois d'entraînement : " en ce qui me concernait, car les autres, c'est-à-dire Sergei, Beth et Antonio, étant des astronautes professionnels et confirmés, avaient bénéficié d'un allègement de charge. "

Mais la réflexion philosophique qui découle de cette attente, de l'attente du départ de la navette, n'en est pas moins captivante. En outre, " la littérature, c'est fait pour rendre compte du réel, tu vois papa, saisir les problèmes réels … ", puis-je lire à la page 94. Et c'est cela qui me fascine dans ce roman de Vincent Delecroix, c'est cette capacité à rendre compte du Réel, par petites touches …

Du coup, il faut attendre encore des mois avant que Chaïm Rosenzweig finisse par embarquer à bord de la navette avec le reste de l'équipage. Après avoir fait traîner son roman tout au long d'une première partie de 300 pages consacrée à la dernière mission d'une navette spatiale de la NASA qui ne décolle qu'au milieu de cette première partie, Vincent Delecroix surprend le lecteur en générant une deuxième partie sans contenu narratif ou tout du moins avec juste cette phrase : " Ils voyagèrent ".

Puis vient la troisième et dernière partie et alors un passager imprévu - et néanmoins célébrissime - vient soudain révéler sa présence en pleine ascension … Il faudra quelques temps à l'équipage pour découvrir sa véritable identité : " Jésus ". Et d'ailleurs, ils finissent tous par croire que c'est Jésus-Christ. Vincent Delecroix aura ainsi laissé souffler sur son roman un vent de folie …

J'ai beaucoup aimé ce roman de science-fiction au titre motivant. Vincent Delecroix a un style et une langue académiques. D'ailleurs, romancier, il a reçu le Grand prix de littérature de l'Académie française après avoir publié Tombeau d'Achille. Son œuvre littéraire et philosophique est attentive aux actes et expériences existentiels, comme l'amour, le chant et le sacré. Et je crois qu'Ascension ne déroge pas à cette ligne de base littéraire. D'ailleurs dans la troisième partie du roman, le passager que l'équipage n'attendait pas et qui fait petit à petit son apparition finit par dévoiler son identité à cette équipe médusée : il s'appelle Jésus-Christ et qui mieux que Jésus-Christ pour incarner cet amour, ce sacré ?

Mes derniers articles

Roman court et nouvelles

Vie polymorphe, un recueil de récits de Serge Fuchet

L'auteur de " Vie polymorphe ", Master mention Lettres de la Sorbonne-Nouvelle depuis 2002, évoque son recueil de nouvelles publié à peu près à la même époque, à " ses heures perdues " d'étudiant à l'Université. Ainsi est-ce le seul livre qu'il ait publié jusqu'à présent mais il garde cela en mémoire pour le restant de ses jours. Tout compte fait, publier le livre de sa vie, ça vaut le coup !

Vie polymorphe, roman court et nouvelles

=> Les multiples aspects de la vie moderne forment l'ossature de ce recueil de nouvelles dans lequel événements banals et faits étranges se mêlent, semant la confusion et le doute dans l'esprit des personnages.

Egalement récits d'apprentissage amoureux ou existentiel, ces nouvelles aiment à multiplier les références pour mieux égarer le lecteur dans l'entrelacs des possibles.

Prix : 9,76 € en livre papier - ISBN : 2840946777 - Dépôt légal : juillet 2001 - Nouvelles, 95 pages - Editions du Panthéon, Paris, 2001

Bande dessinée

Alix, l'aventurier de l'Antiquité

Alix est une série de bande dessinée écrite et dessinée par Jacques Martin à partir de 1948, publiée par les éditions Casterman dont les intrigues se déroulent à l'époque de Jules César, principalement à Rome, en Gaule, en Mésopotamie, en Afrique et en Asie Mineure. Le style des dessins est apparenté à la ligne claire. La série porte le nom de son héros, esclave d'origine gauloise devenu citoyen romain et proche de César.

Évasion

Six livres pour revisiter l'Afrique


Le Roi des rois de l’Afrique traditionnelle, le Guide de la Grande Révolution de la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste du 01 septembre 1969, le colonel Mouammar El Kadhafi était l’un des chefs d’Etat le plus estimable de son temps. Il reste aussi l'un des plus avares de confidences pour l'unité de l’Afrique. D'où l'intérêt de cet ouvrage écrit par l'auteur panafricaniste, au cours duquel Kadhafi exprime sa pensée qui a suivi sa mort. Cet ouvrage essaye d'analyser l'idéologie de la troisième théorie universelle de Kadhafi ; ses mérites ; les causes lointaines et proches de sa mort ; et enfin ; il fait les différentes observations après sa mort. A vrai dire, la question primordiale que soulève cette analyse est de savoir après la mort de Kadhafi, si la Libye assiste à une démocratie inspirée ou à une dictature islamisée ? Voilà le grand débat que cet ouvrage tente d'ouvrir.


Pourquoi a-t-on tué Mouammar El Kadhafi ?

Par Martin Pape Engemba


Thème : Essai / Etude politique

Format : Roman (134x204)

Nombre de pages : 144

Date de publication : 22/11/2013

ISBN : 978233261547300

Actualités

« Certes, Occident, je me scinde... »

La mémoire tatouée - Abdelkébir Khatibi

Sociologue formé à la Sorbonne où il a défendu en 1965 une thèse consacrée au roman maghrébin, Abdelkébir Khatibi a tout justement tenté, dans "La mémoire tatouée" - son premier roman sous-titré "autobiographie d'un décolonisé" - de se démarquer d'une tradition littéraire restée prisonnière des conceptions occidentales*.

Tout à la fois roman et autobiographie, le texte de "La mémoire tatouée" épouse aussi l'allure d'une longue méditation poétique et désordonnée, organisée selon deux "séries hasardeuses": deux séries de chapitres eux mêmes fragmentés en de brèves évocations de l'enfance de l'auteur à El Jadida - alors que son pays est engagé malgré lui dans une guerre (la deuxième guerre mondiale) qui n'est pas la sienne -, de ses années d'étude au collège franco-musulman de Marrakech, des troubles qui ont conduit le Maroc à retrouver son indépendance ou encore de son long séjour parisien, entre le microcosme des pavillons de la cité universitaire internationale et les cafés de Saint-Germain-des-Prés, alors que la guerre d'Algérie battait son plein.

Le français lui aussi y est fragmenté, trituré et comme passé à la moulinette d'une – ou de plusieurs – langue(s) étrangère(s) dont la syntaxe réapparaîtrait ici, comme les os pointant sous la peau de la langue de Voltaire. Et il faut bien reconnaître que le résultat est déroutant, oscillant entre une réelle puissance d'évocation poétique et incantatoire, et une obscurité cryptique qui pourrait rebuter... Mais au final, l'on voit bien qu 'Abdelkébir Khatibi n'avait d'autre choix, que de se forger ainsi sa propre forme littéraire et sa propre langue – fut-elle obscure -, pour recréer en toute fidélité le monde de son enfance et de sa jeunesse. Un monde fragmenté entre l'espace des populations locales et celui des occidentaux, entre l'univers des hommes et celui des femmes, où le petit garçon fut toléré pendant un temps: "Aïcha est le nom même de ma mère et nos femmes brodent à loisir sur le fantastique pour dire non à la religion des hommes. Quand elles te disent: l'inconscient est maternel, réponds: je suis patriarche et ordonne le système." (p 47) Un monde complexe enfin que le jeune enfant se trouvait incapable de penser, faute de maîtriser le spectre complet d'une langue: "A l'école, un enseignement laïc, imposé à ma religion; je devins triglotte, lisant le français sans le parler, jouant avec quelques bribes de l'arabe écrit, et parlant le dialecte comme quotidien. Où, dans ce chassé-croisé, la cohérence et la continuité?" (p. 54)

Texte inclassable, à force de fluctuer entre le roman, l'autobiographie et la poésie, "La mémoire tatouée" se lit en filigrane comme le récit de la construction d'une identité aux multiples facettes, entre l'Occident et le Maghreb, entre raison et merveilleux: "Certes, Occident, je me scinde, mais mon identité est une infinité de jeux, de roses de sable, euphorbe est ma mère, désert est ma mère, oasis est ma mère, je suis protégé, Occident!" (p. 173) Et c'est une lecture difficile mais d'autant plus nécessaire que celle de ce livre qui mérite vraiment une (re)découverte.

* A l'exception notable de "Nedjma" de Kateb Yacine, qu'Abdelkébir Khatibi évoque d'ailleurs ici avec une profonde admiration.

Extrait:

"Est-ce possible, le portrait d'un enfant? Car le passé que je choisis maintenant comme motif à la tension entre mon être et ses évanescences se dépose au gré de ma célébration incantatoire, elle-même prétexte de ma violence rêvée jusqu'au dérangement ou d'une quelconque idée circulaire. Qui écrira son silence, mémoire à la moindre rature?

Qui dira mon passé dans l'effacement d'une page, qui saura varier l'obscurité au seul arrachement d'ailes? Plus que mon vouloir, le voici, le souvenir plaintif, le voici libre de sa figure! Durée de lierre qui ne trahisse pas l'enfant que j'étais, l'enfant fertile qui n'est pas mort en moi!" (p. 18)



Études littéraires

Polymorphisme et dissimulation du narratif dans La mémoire

tatouée d’Abdelkébir Khatibi

Polymorphism and dissimulation of the narrative in

Abdelkébir Khatibi’s La mémoire tatouée

Olga Hél-Bongo

Pratiques romanesques francophones d'Afrique et des Antilles

Volume 43, numéro 1, hiver 2012

Résumé de l'article

Dans La mémoire tatouée, Abdelkébir Khatibi subvertit le réel en le tressant au rêve, au fantasme et au drame, d’où l’enchâssement de plusieurs genres dans le roman (essai, poésie, théâtre). Essai et roman mettent en scène l’aliénation du colonisé et d’une génération entière, déracinée, et donc rivée à un double langage. La tentative du je consiste à représenter l’intellectuel colonisé pour s’insurger contre sa propre aliénation. L’autobiographie se dit par éclatement et par cris. Son analyse nécessite une bonne connaissance de la trajectoire de l’auteur afin de situer la prise de parole de l’écrivain dans le cadre de sa deixis sociale. Le présent article examine donc le parcours intellectuel de Khatibi en matière de dispositions, de positions et de prises de positions en vue de saisir le portrait autobiographique tel que transfiguré par l’auteur et par la tricherie de l’écriture.

Plein Jour, 2017

Hannah Nordhaus, Un fantôme américain

Une formidable enquête de type journalistique sur un personnage historique du far-west américain, sa trisaïeule, qui hante aujourd'hui, selon l'opinion locale, un hôtel à Santa Fe, au Nouveau Mexique,



Un fantome americain


Hannah Nordhaus est Journaliste et c'est une auteur primée pour deux ouvrages clés : L'Apiculteur se lamente ( HarperCollins, 2011 ) et Un fantôme américain ( HarperCollins, 2015 ). Tous deux sont devenus des best-sellers nationaux. Cette femme écrit sur la Science, l'Histoire et la Nature. Hannah Nordhaus, dans la version française de ce roman paru aux éditions Plein Jour en 2017, se livre à une formidable enquête de type journalistique sur un personnage historique du far-west américain, sa trisaïeule, qui hante aujourd'hui, selon l'opinion locale, un hôtel à Santa Fe, au Nouveau Mexique, état des U.S.A. Et alors, il est d'autant plus facile d'entrer dans cette histoire qu'elle suit un ordre chronologique : suivant un point de vue interne, la narratrice se forge ainsi petit à petit " Un fantôme américain ".


Il se trouve que cet hôtel de Santa Fe est l'ancienne demeure de Julia Staab, la trisaïeule en question décédée en 1896. A travers des souvenirs ou des correspondances, le portrait de la défunte devenue fantomatique prend forme. Le lecteur y apprend notamment que Julia Staab était une émigrante juive allemande. Cette histoire fantomatique, véhiculée par la tradition orale populaire du Nouveau Mexique est reprise à son compte par Hannah Nordhaus qui esquisse donc un portrait en creux à partir de toutes sortes de sources d'information : carnets intimes, journaux, minutes de tribunaux … La langue d'Hannah Nordhaus s'avère ainsi être caractérisée par un style journalistique.


Ce portrait s'avère être ainsi celui d'une femme juive allemande dont le destin romanesque nourrit le texte. Et c'est comme cela que le journalisme devient écriture. Et ses contemporains américains ne s'y sont pas trompés, à en lire certaines critiques journalistiques. Ainsi pour Maureen Corrigan, Un fantôme américain est une histoire obsédante sur un passé distant. Pour la rédaction de Newsweek, il s'agit " d'une histoire familiale, avec des antécédents familiaux, gracieuse et sinistre à la fois ". Quant à PeopleMagazine, " dans ce livre fascinant, Hannah Nordhaus partage son voyage pour découvrir qui son ancêtre d'immigrant était vraiment et, selon une alchimie étrange, elle s'attarde longuement sur sa trisaïeule après qu'elle est partie. " Ce sont là deux trois exemples de critiques et il y en a bien d'autres, tout aussi favorables à Hannah Nordhaus.


Globalement, j'ai apprécié le style et le récit journalistiques d'Hannah Nordhaus dans ce roman. Elle a tout simplement voulu, par le biais d'une enquête fournie et méthodique, nous livrer la biographie de sa trisaïeule, au fil de sa vie dans le far-west américain. J'avoue que j'ai beaucoup aimé Un fantôme américain.



De nationalité américaine, Hannah Nordhaus est journaliste et écrivain.


Elle est diplômée d'histoire de l'Université Yale et de l'Université du Colorado.


Elle est l’arrière-arrière-petite-fille d’un des fantômes les plus célèbres des États-Unis, Julia Staab (1844-1896), émigrante juive-allemande qui a vécu au Far West au XIXe siècle et qui, selon certains, hante désormais sa maison de Santa Fe.


Hannah Nordhaus lui consacre un portrait avec son livre intitulé "Un fantôme américain" (American Ghost, 2015), salué par la critique et primé plusieurs fois.


Elle vit à Boulder, Colorado, avec son mari et ses deux enfants.

Editions Au Diable Vauvert

Thomté Ryam, Next level

A l’instar de Banlieue Noire (2006) et En attendant que le bus explose (2009), Next Level cogne là où les essais de sociologie expliquent, n’excuse rien là où les traités de psychologie s’étalent.


Troisième roman de l’ancien footballeur Thomté Ryam, Next Level s’intéresse à la jeunesse paumée des villages ruraux, de ceux qui ne laissent guère place à l’imagination, hormis par le biais de jeux vidéo ultraviolents et ultra réalistes qu’affectionne Martial, 21 ans, toujours en Terminale. On tient du lourd, petite sœur morte, accidentée par son frère, père disparu, mère éternellement « malade » et toujours en quête de sexe, black label de préférence. Une fois frôlée la crise cardiaque littéraire et l’œil habitué à cette « poésie urbaine » à la « j’écris comme je parle », force est de constater qu’il est possible de rentrer dans cette histoire, voire même d’y rester jusqu’à une fin que l’on pressent catastrophique. Encore faut-il se laisser porter par un rythme un peu aléatoire, qui nous mènera jusqu’à la capitale, et se résoudre à ressentir une once d’empathie pour ce grand gamin perclus dans son délire.


Pas de raccourcis, si Martial se prend peu à peu pour le « héros » qu’il incarne (aux buts avoués carrément sanguinaires), Next Level n’est pas une simple dénonciation de l’impact d’une réalité virtuelle qui prend le pas sur le rejet du réel. Si notre jeune ami finit par ne plus différencier ses missions de ses objectifs de vie (quelle jolie expression), avoir son bac par exemple, à l’égal d’un insomniaque zombéifié qui ne reconnaît plus le jour de la nuit, le problème de Martial est beaucoup plus profond, et certainement plus ancien. Toujours est-il que, lui aussi semblable à un somnambule, ses obsessions de victoires vont le mener de plus en plus loin, de plus en plus fort, et la lectrice à sa suite de se prendre au jeu, c’est le cas de le dire, bien que cet univers post-adolescent et gamers en folie soit bien éloigné de mes préoccupations. Un roman efficace qui, s’il ne laissera peut-être pas beaucoup de traces, a quand même l’atout de se lire quasi d’une traite, logorrhée mentale rimant avec descente aux enfers et, cerise sur le gâteau, l’information qui nous fera jeter un coup d’œil dans le rétro et rembobiner.


Paris et la parenthèse


Avant le déménagement à Paris, quand il vit encore dans son village, Martial pense que les gens comme lui sont les oubliés du pays, les ringards, les démodés et les déclassés face à la jeunesse des grandes villes européennes, « Je pense à Shoot dans la ville 2 qui va être disponible dans deux mois à peine. Cette fois l’action se déroulera en Europe : Paris, Berlin, Londres, Milan, Istanbul, Barcelone, Athènes. C’est autre chose que mon village. Là-bas, le monde t’appartient, tu peux rêver en grand " . Ce jeu semble donc la seule issue à son envie de se dégager de l’assignation que sa copine leur donne, celle de « petits Blancs des campagnes« . Jusqu’au déménagement.


A l’arrivée dans la capitale française, il se retrouve dans un établissement où les élèves sont, selon ses mots grossiers « des Touaregs, des djihadistes, des Normands, des youpins, des Tounsi, des Bambaras, des zaikos, des Viêts« . N’empêche ses préjugés : le meilleur ami que Martial se fait s’appelle « Papa » et est un jeune parisien d’origine Tchadienne. Papa est un des rares personnages du roman à avoir une vision un peu plus profonde concernant les questions interculturelles contemporaines. Il dit à son ami : « On veut nous renvoyer une image détestable de nous-même. Je suis beau, élégant, gentil, mais les lâches, les ratés préfèrent dire que les filles m’aiment parce que j’ai un long zizi et des abdos. On a aliéné des peuples entiers avec ces méthodes. A se demander qui sont les complexés. Quand tu ne calcules pas ça, t’es un extraterrestre ! T’es dans le futur ! En une seconde tu fais dix choses, à la deuxième t’es déjà parti ! Bye bye ! » Etre dans le futur, échapper à ce monde brutal. Mais par quel moyen ? La réponse de Martial et de son alter ego Callagan auquel il se moule davantage au fil du temps, rime avec encore plus de brutalité.


Un roman bien pensé donc, jusqu’aux détails de ce fameux jeu – Shoot dans la ville – que je ne peux pas ne pas citer tant il a de l’importance, tant il donne à réfléchir et tant il donne aussi à voir une autre facette de Martial qui – bien que recalé récurrent – n’en garde pas moins un regard avisé et fortement politique sur notre monde, à l’international, son addiction le poussant en effet à « voyager ». Haro sur les préjugés, notre grand môme a beau venir de la cambrousse, avoir la tête retournée, il n’en demeure pas moins au fait des grandes problématiques de notre temps (les références sont nombreuses), n’hésitant pas à se faire parfois justicier, à sa sauce, et endossant alors une grisante complexité qui donne corps à son personnage. Focus également sur la réalité alternative, à l’instar de Simili-Love, publié Au Diable Vauvert il y a quelques mois, qui s’interrogeait aussi sur les errances et les errements de notre monde virtuel en construction. Imaginez-vous un casque sur les yeux, une manette entre les mains, votre mission est claire : tuer. Votre boss/ex/belle-mère déboule au coin de la rue, vous tirez ?